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L'objet du mois de septembre 2021 : 

L’écrémeuse Mélotte

Pierre Cattelain, Conservateur de l'Écomusée du Viroin, Université Libre de Bruxelles, Treignes.


L’Écomusée du Viroin possède dans ses collections une petite quinzaine d’écrémeuses à centrifugation de marques Alfa-Laval, Bernard, Lister et surtout, Mélotte, la plus fameuse, dont nous présentons ici un exemplaire (fig. 1). C’est bien normal pour un musée de ce type, dont un des thèmes principaux est la mécanisation des pratiques agricoles entre 1800 et 1950.


En effet, toute ferme qui se respectait possédait une ou plusieurs de ces machines. Chose plus exceptionnelle, l’Écomusée possède aussi une belle collection d’affiches, de calendriers et de divers documents anciens sur le même thème, qui enrichissent considérablement ce point particulier de ses collections.

Fig. 1 - Écrémeuse Mélotte, inv. 07100, acquise par don en 1996. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 1 - Écrémeuse Mélotte, inv. 07100, acquise par don en 1996. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Notre écrémeuse à bol suspendu inventée par Jules Mélotte porte le numéro de série 5925UI. Datant d’avant-guerre, elle a été offerte à l’Écomusée en 1996. L’identité du donateur et son origine n’ont malheureusement pas été notées. Pour le côté technique, un réservoir monté sur un bâti en tôle d’acier distribue le lait à un entonnoir qui alimente le bol suspendu tournant à grande vitesse. À l’intérieur, un système de plateaux emboîtés sépare le petit-lait de la crème. Deux becs verseurs restituent le petit-lait et la crème dans des récipients différents.


Une manivelle assure la mise en rotation du bol.

Le crémage ou écrémage

L’écrémeuse intervient dans la première étape de la fabrication du beurre. Cette dernière comprend trois étapes : l’écrémage, le barattage et le délaitage.


Avant la mise au point de l’écrémage par centrifugation, la séparation de la crème du lait s’effectuait dans des cuvettes en terre cuite, appelées tèles, déjà attestées dans la région à l’époque gallo-romaine (fig. 2). La tèle, ou telle, est un récipient tronconique à petit fond plat et parois très évasées, dont l’intérieur est vernissé ou glaçuré depuis le Moyen Âge. Le bord est muni d’un bec verseur, plus rarement de deux (fig. 3).

Fig. 2 - Tèle à crémer. Roly, villa gallo-romaine de la Crayellerie. IIe-IIIe s. apr. J.-C. Musée du Malgré-Tout, inv. ROLY-CR-IND-3240. Don C. Robert, Boutonville. Restauration ESA St-Luc,Liège. Photo P. Cattelain © Musée du Malgré-Tout, Treignes.

Fig. 2 - Tèle à crémer. Roly, villa gallo-romaine de la Crayellerie. IIe-IIIe s. apr. J.-C. Musée du Malgré-Tout, inv. ROLY-CR-IND-3240. Don C. Robert, Boutonville. Restauration ESA St-Luc,Liège. Photo P. Cattelain © Musée du Malgré-Tout, Treignes.

Fig. 3 - Tèles à crémer, inv. 05849 et 05836, acquises en 1997. Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse, XIXe siècle. Ancienne collection de la Maison des Baillis, Nismes. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 3 - Tèles à crémer, inv. 05849 et 05836, acquises en 1997. Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse, XIXe siècle. Ancienne collection de la Maison des Baillis, Nismes. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Après une filtration sommaire au travers d’un linge, le lait est versé dans la tèle et repose au frais pendant de nombreuses heures. Au bout de ce temps, la crème, plus grasse et plus légère, remonte en surface et forme une couche opaque et épaisse. Le lait écrémé,

ou petit-lait, disposé au fond de la tèle, est récupéré à l’aide du bec verseur. La crème est ensuite versée très lentement dans un pot à crème (fig. 4), recouvert alors d’une étamine, où elle pourra mûrir et épaissir. Au bout de quelques jours, on peut procéder au barattage pour l’obtention du beurre (fig. 5).

Fig. 4 - Jarre pour la maturation de la crème, inv. 05658. Bruxelles, 2e moitié du XIXe siècle. Don M. Huybrecht. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 4 - Jarre pour la maturation de la crème, inv. 05658. Bruxelles, 2e moitié du XIXe siècle. Don M. Huybrecht. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 5 - Barattes à piston, dites aussi « boutroules », inv. 04527 et 07336, acquises en 1995. Brabant, 2e moitié du XIXe siècle. Don J.-J. Van Mol. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 5 - Barattes à piston, dites aussi « boutroules », inv. 04527 et 07336, acquises en 1995. Brabant, 2e moitié du XIXe siècle. Don J.-J. Van Mol. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 6 - Écrémeuse Moës (mécanicien à Redange, G.‑D. Luxembourg) à bacs réfrigérants. D’après Ferville 1888 : 108.

Fig. 6 - Écrémeuse Moës (mécanicien à Redange, G.‑D. Luxembourg) à bacs réfrigérants. D’après Ferville 1888 : 108.

Dans le troisième quart du XIXe siècle, dans les pays scandinaves, on refroidit le lait à l’aide de glace pour accélérer la montée de la crème. Très vite, on met au point, en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg, des écrémeuses à bacs réfrigérants (fig. 6). La véritable révolution s’opère vers 1877, lorsque l’ingénieur allemand Wilhelm Lefeldt applique le principe de la centrifugation à l’écrémage du lait. La machine est perfectionnée par le suédois Gustaf de Laval. Le lait cru, légèrement chauffé, est versé dans l’écrémeuse à assiettes coniques qui, actionnée, sépare par centrifugation les globules gras (crème) d’un côté et le lait écrémé de l’autre. La crème crue peut être ensuite utilisée en cuisine, ou pasteurisée pour donner la crème fraîche liquide. Elle peut également être transformée en beurre ou en fromage. Dans l’industrie laitière, le lait est pasteurisé avant l’écrémage.

Les écrémeuses Mélotte

Le 23 juin 1888, Jules Mélotte (fig. 7) dépose le brevet n° 82314 de l’écrémeuse à bol librement suspendu qu’il vient de mettre au point. Dans cette machine, la centrifugation du lait est réalisée dans un récipient suspendu à son axe pour diminuer les frottements et réduire l’usure des pièces (fig. 8). Ceci permet une économie de force motrice qui augmente la capacité d’écrémage de la turbine : l’écrémeuse peut être actionnée à la main à l’aide d’une manivelle, notamment par des femmes et des enfants (fig. 9). Jusqu’à cette innovation de Jules Mélotte, les écrémeuses nécessitaient une force d’entraînement très importante : elles étaient actionnées par des manèges à chevaux ou par des machines à vapeur (fig. 10).

Fig. 7 - Jules Mélotte. Archives de l’Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 7 - Jules Mélotte. Archives de l’Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 8 - Affiche Mélotte, pour l’écrémeuse à manivelle, inv. 08605. Vers 1920. Don Jean-Jacques Van Mol.

Fig. 8 - Affiche Mélotte, pour l’écrémeuse à manivelle, inv. 08605. Vers 1920. Don Jean-Jacques Van Mol.

Fig.8 Coupe de l'écrémeuse Mélotte et nomenclature des pièces

Fig.8 Coupe de l'écrémeuse Mélotte et nomenclature des pièces

Fig. 9 - Calendrier publicitaire 1905 des écrémeuses Mélotte assemblées par Edmond Garin à Cambrai, montrant l’utilisation par une femme et un enfant, par ailleurs très « endimanchés » et très « Belle Époque ». Inv. 09572.

Fig. 10 - Écrémeuse Burmeister et Wains entraînée par un cheval. D’après Pouriau 1895 : 210.

Fig. 10 - Écrémeuse Burmeister et Wains entraînée par un cheval. D’après Pouriau 1895 : 210.

Fig. 11 - Les usines Mélotte à Remicourt au début du XXe siècle. Document Écomusée du Viroin, Treignes.

Fig. 11 - Les usines Mélotte à Remicourt au début du XXe siècle. Document Écomusée du Viroin, Treignes.

En remportant le premier prix du Grand concours international de Bruxelles, cette nouvelle écrémeuse offre à Jules Mélotte une récompense de 10 000 francs (équivalant à environ 45 000 € d’aujourd’hui) : celui-ci décide de passer au stade de la fabrication industrielle.

Alors que son frère Alfred établit de nouveaux locaux à Gembloux où il se spécialise dans les instruments aratoires, notamment les fameuses charrues Brabant double, Jules prend la tête de l’usine de Remicourt (fig. 11), fondée par leur père Guillaume, fabricant de matériel agricole, notamment de batteuses.


En 1890, les premières écrémeuses Mélotte commencent à être commercialisées et vont, dès la fin du siècle, envahir le marché européen (fig. 12), puis mondial. Les deux frères sont particulièrement attentifs à la qualité et à l’innovation : l’adjonction d’un moteur électrique va permettre d’éviter la fatigue (fig. 13). Comme pour tout objet servant à la fabrication du beurre, une extrême propreté est nécessaire : après chaque écrémage, les nombreuses pièces doivent être lavées plusieurs fois à l’eau claire très chaude, ce qui justifiera le remplacement du fer blanc par l’acier inoxydable (fig. 14).





Fig. 12 - Affiche de l’entreprise Edmond Garin, assembleur des écrémeuses Mélotte à Cambrai (France), vers 1905. L’ambiance est plus paysanne. Inv. 11172. Acquisition 2018.

Fig. 12 - Affiche de l’entreprise Edmond Garin, assembleur des écrémeuses Mélotte à Cambrai (France), vers 1905. L’ambiance est plus paysanne. Inv. 11172. Acquisition 2018.

Fig. 13 - Coupe de l’écrémeuse Mélotte à moteur et nomenclature des pièces. Document Écomusée du Viroin.

Fig. 13 - Coupe de l’écrémeuse Mélotte à moteur et nomenclature des pièces. Document Écomusée du Viroin.

Fig. 14 - Affiche promouvant l’écrémeuse Mélotte avec parties en acier inox. 1930, inv. 8210. Don Albert Malter, Nismes

Fig. 14 - Affiche promouvant l’écrémeuse Mélotte avec parties en acier inox. 1930, inv. 8210. Don Albert Malter, Nismes

Les Mélotte mettent également l’accentsur la productivité et l’organisation de leurs usines, sur la promotion (fig. 15) et sur l’amélioration de la formation des ouvriers et de leurs conditions de vie. Cette préoccupation sociale se manifeste aussi dans les décisions que prendra Jules Mélotte comme échevin de l’Instruction publique de Remicourt. En 1919, à sa mort, Jules Mélotte lègue une forte somme à la commune de Remicourt pour la construction d’une maison de retraite et d’un jardin d’enfants.


L’usine de Remicourt est reprise par Alfred qui poursuit l’ouverture de nombreuses succursales à l’étranger (fig. 16). Créée en 1852, elle devient la SA Écrémeuse Mélotte en 1921 et va progressivement se spécialiser dans la traite mécanique. À Remicourt, en 1929, l’usine occupe 1200 ouvriers et des milliers de travailleurs dans le monde travaillent pour la marque

Mélotte. Alfred Mélotte s’éteint en 1943.

Fig. 16 - Publicité Mélotte de 1928. Archives de l’Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 16 - Publicité Mélotte de 1928. Archives de l’Écomusée du Viroin, ULB, Treignes.

Fig. 17 - Plaque publicitaire émaillée pour les machines à traire Surge-Mélotte. Inv. 8295

Fig. 17 - Plaque publicitaire émaillée pour les machines à traire Surge-Mélotte. Inv. 8295

Fig. 15 - Plaque promotionnelle pour les produits Mélotte. Inv. 8615.

Fig. 15 - Plaque promotionnelle pour les produits Mélotte. Inv. 8615.

En 1970, l’entreprise Mélotte arrête la fabrication des écrémeuses et se spécialise définitivement dans les trayeuses automatiques (fig. 17). 


En 1974, l’entreprise fusionne avec la société anglaise Gascoigne. En 2004, le groupe américain Boumatic rachète Gascoigne-Mélotte et fait de Remicourt le centre unique de distribution pour l’Europe. En 2006, le groupe Boumatic-Gascoigne-Mélotte fait partie de Boumatic LLC, leader dans les technologies de traite. De 32 personnes occupées à l’arrivée de Boumatic, l’effectif est monté à 150, dont une cinquantaine d’ouvriers, pour redescendre en dessous de 50 après la restructuration de 2014. 


On est loin des 1200 emplois de 1929… En août 2015, les usines Mélotte à Remicourt ferment. Boumatic quitte la rue Jules Mélotte, 125 ans après que celui-ci ait créé la première écrémeuse mécanique. La direction a décidé d’arrêter définitivement les ateliers de production. Les services administratifs déménagent ailleurs en Belgique… Sic transit gloria mundi !

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